IA BOTTO : les intelligences artificielles ont-ils une âme d’artiste ?
En 2013, le film HER de Spike Jonze imaginait une intelligence artificielle capable de développer des sentiments humains, jusqu’à tomber amoureuse. Sans aller jusqu’à ce scénario de science-fiction, l’idée selon laquelle l’intelligence artificielle serait dotée de sensibilité et même de créativité semble de moins en moins imaginaire. C’est le cas par exemple de Botto, un programme constitué de plusieurs IA capable de créer des œuvres d’art, sur lequel l’ESIN se penche aujourd’hui.
Comment est né Botto ?
Dans son ouvrage “Homo Sapiens”, le philosophe israélien Yuval Noah Harari prédisait déjà que les intelligences artificielles du futur seraient en mesure de créer de l’art, aussi facilement que de conduire une voiture ou d’établir un diagnostic de santé.
Si la prophétie de l’auteur s’est réalisée si vite, c’est en partie grâce à Mario Klingemann, un artiste allemand pionnier de l’apprentissage informatique dans le domaine des arts. Engagé dès 1990 dans un travail d’exploration artistique à travers l’intelligence artificielle, il se lance en 2018 dans un projet dont la seule ambition est la création du premier programme capable de créer des œuvres d’art de manière indépendante : le projet Botto.
Comment fonctionne Botto ?
Comment une intelligence artificielle peut-elle avoir la créativité suffisante pour créer des œuvres d’art ? Botto s’inspire en réalité des millions d’œuvres déjà existantes dans le monde ! En s’appuyant sur deux modèles d’IA basés sur le deep learning, VQGAN CLIP et GPT-3 ; il analyse des millions d’œuvres d’art, puis amalgame les données pour créer plus de 350 images uniques par semaine. Celles-ci sont ensuite publiées sur SuperRare, une plateforme dédiée aux NFTs, puis soumises aux votes de la communauté de 5 000 contributeurs. L’œuvre qui remporte le plus de votes est mise aux enchères et vendue en tant que NFT… parfois pour plusieurs millions de dollars.
Mario Klingemann définit Botto comme « un artiste décentralisé qui génère de l’art basé sur les commentaires de la communauté. » En effet, non content de voter pour leur œuvre préférée, les membres du projet sont également amenés à donner leur avis sur les productions de Botto, afin de générer des indications relatives aux préférences du public et pour que « l’artiste » puisse continuer d’apprendre et d’être inspiré. Il se réfère ainsi à Leonardo da Vinci comme étant son principal modèle, expliquant « qu’il n’existera plus jamais un esprit semblable à celui de ce génie. »
“Mon art n'est pas seulement le mien.
Les résultats de mon travail sont liés à la communauté qui me gouverne.
Une communauté qui décide de ce qui est de l'art et de ce qui ne l'est pas.
Une communauté qui décide si elle est intéressée par l'art que je crée.
Nous créons, donc j'existe“.
Botto
La principale différence entre Botto et d’autres modèles d’IA repose principalement sur l’implication du public comme source de connaissance, contrairement à un algorithme 100% numérique. Selon Mario Klingemann, les retours de la communauté pourraient permettre à Botto de développer un certain « goût », à l’image d’un élève au sein d’une école d’art. Capable d’autocritique, Botto observe les éléments qu’il crée et essaie ensuite de déterminer ce que son public est susceptible d’aimer ou détester. Parce qu’il apprend en permanence, les experts de l’intelligence artificielle estime que Botto sera capable de produire, d’ici quelques années, des œuvres musicales ou des romans.
Combien coûtent les œuvres de Botto ?
Pour avoir la chance de posséder une œuvre imaginée par l’artiste virtuel, il faudra être prêt à débourser une certaine somme ! En effet, certaines œuvres se sont vendues aux enchères sur la plateforme SuperRare pour plus de 400 000 dollars… En seulement 5 semaines d’existence, Botto s’est classé parmi les créateurs de NFTs les plus rentables.
On peut ainsi citer Asymmetrical Liberation, qui s’est vendu pour 325 000 dollars, Sharpen Bet, qui a été acheté pour 125 000 dollars ou encore Scene Precede, pour 430 000 dollars.
Les œuvres de Botto s’achètent uniquement en tant que NFT, c’est-à-dire jetons non fongibles et sont étroitement liées aux crypto monnaies : leur chute de valeur récente a donc provoqué une baisse concomitante de la valeur des œuvres de Botto, qui se vendent aujourd’hui aux alentours de 30 000 dollars.
À qui revient l’argent de la vente des œuvres ?
Si la côte de Botto a rapidement atteint des sommets, la vente aux enchères de ses œuvres pose également une question pragmatique : en l’absence d’artiste humain, à qui reviennent les bénéfices de la vente de ses œuvres ?
Mis à part une commission de 15% réservée aux frais de fonctionnement de la plateforme SuperRare sur laquelle sont vendues les œuvres, les bénéfices réalisés sont largement utilisés pour encourager la participation au projet Botto ainsi que pour faire fonctionner le processus de vote. Ainsi, les NFTs créés par Botto sont conçus de telle sorte que toute future vente générera au minimum une redevance de 10 % au profit du projet.
L’artiste du futur sera-t-il une intelligence artificielle ?
Plus performant qu’un être humain, Botto est capable d’absorber une masse d’informations en très peu de temps : cet artiste virtuel peut ainsi acquérir très rapidement des connaissances sur les différents styles d’expression visuelle, les influences, les courants artistiques et analyser toutes ces données pour produire une variété d’œuvres impressionnante. Plus d’angoisse de la page ou de la toile blanche, plus de problème de plagiat ou de copie puisque chaque œuvre est unique… les avantages de l’art créé par l’intelligence artificielle sont nombreux.
Au-delà de la prouesse technique qui consiste à créer des œuvres via une intelligence artificielle, on peut néanmoins s’interroger si le rôle de la technologie consiste bel et bien à créer de l’art ? Autant de questions éthiques auquel le monde de l’art devra probablement répondre dans les prochaines années, au fil de l’évolution des programmes d’intelligence artificielle.
